Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
KANLENTO-AVULETE "vaillant combattant, nous devons lutter"
7 décembre 2012

Notes de lecture - La romancière anglaise qui

Notes de lecture - La romancière anglaise qui demeure à tout jamais inconnue - Virginia Woolf étrangère à elle-même le magazine littéraire n°518 avril 2
JUIN 2012 

 

Soixante-dix ans après sa mort tragique, Virginia Woolf (1882-1941) entre dans le domaine public -et dans La Pléiade-. Etrangère à elle-même, l’auteur des «Années» l’est autant par les mythes qu’on a construits autour de son destin que par l’émotion et l’appropriation que son œuvre suscite  et dont le paysage culturel contemporain témoigne encore.  

Cette vie-là, encore moins  que toute autre, ne peut se réduire aux seuls jalons chronologiques. Nul coup de théâtre, nulle extravagance, mais une  sourde lutte contre le gouffre, qui se joua imperceptiblement «entre les actes». Maître d’œuvre des deux volumes de «La Pléiade» consacrés à Virginia Woolf, Jacques Aubert explique de quelle manière cette édition cherche à retranscrire une aventure intérieure.  Les écrits de  Virginia Woolf forment un corpus considérable, constitué de romans, d’essais, d’un important Journal, et d’une  correspondance fournie, le tout s’étendant sur la durée de son existence. Il ne faudrait pas moins de huit volumes de «La Pléiade» pour le recueillir et le présenter de façon satisfaisante, d’autant que ses écrits  sont souvent imbriqués non seulement chronologiquement, mais logiquement, et qu’ils s’éclairent mutuellement.

La jeune Virginia, qui grandit dans la riche bibliothèque de son père intellectuel, se mesure à l’écriture très tôt : fantaisies enfantines, journal intime, carnet de voyage, notes de lecture… Le journal de jeunesse est l’antichambre des romans. Une table des matières lui donne des airs de livre édité : plaisir du «livre objet» qu’elle prolongera en tant qu’éditrice.Virginia et Leonard Woolf fondent leur Maison d’édition en 1917 : ils publient leurs textes et ceux de leurs amis. C’est aussi un moyen d’entrer en contact avec d’autres personnalités. Ils éditent Freud mais pas l’Ulysse de Joyce : «Le génie n’y manque pas, certes, mais il n’est pas de la plus belle eau», estime Virginia, non sans mauvaise foi.

En termes esthétiques, politiques  et sociaux, l’écrivaine a clairement marqué sa volonté de rupture moderniste. L’héritage victorien reste toutefois fort agissant dans son œuvre. C’est contre et avec les Victoriens qu’elle réinvente l’écriture, entre dette et émancipation. La principale biographe française de l’écrivaine revient sur les joies et les tourments qui la traversèrent face à cette figure insalissable, capable de conjuguer tous les contraires. Elle déclare : «Rien ne devrait être nommé, de peur que ce nom même le transforme. Laissons cette berge exister, cette beauté, et moi inondé de plaisir». (Les Vagues). «Une pièce bien à soi» [plutôt qu’ «Une chambre à soi», comme on l’ait longtemps traduite) est un essai alerte sur le processus de création, par-delà les jeunes filles auxquelles il  s’adresserait. Il faut renoncer à considérer les hommes comme le «camp adverse», afin d’éviter  «toutes sortes de haines et de griefs».

Si Woolf s’oppose radicalement au patriarcat victorien, ce n’est pas par le seul biais d’un féminisme militant. Il s’agit d’abord de remettre en cause toutes les distinctions établies. Le fait même d’alterner fictions et essais participe de cette quête : abolir la loi des genres, abattre les cloisons imposées par les frères et les pères. Les convictions de Woolf ne sous-tendent pas seulement des expériences formelles ; elles s’expriment avec une virulence croissante, comme en témoignent ses essais politiques. Pour Woolf, le destin de Judith Shakespeare, la talentueuse sœur  fictive de William, ou le génie contrarié de Jane Austen condensent le processus historique de relégation des femmes. L’amante de Virginia Woolf est son exacte opposée : frivole, robuste, hédoniste. D’abord fascinée, l’auteur finit par la croquer dans «Orlando». A propos de Vita Sackville-West, elle déclare : «Jamais elle ne laboure un sol neuf. Elle ramasse ce que la marée roule à ses pieds.»

Les manuscrits de Woolf sont étonnamment clairs et lisibles : plutôt que raturer à l’envi, elle préférerait recopier ses textes en les amendant graduellement. L’écrivaine se comparait à un peintre passant et repassant un pinceau humide sur  ses toiles. Dès l’incipit de ce livre, l’écrivaine remet en cause le roman classique, «cuit à point» -notamment la supposée cohérence des personnages et l’obligation d’une intrigue. Lorsqu’en 1925 Virginia Woolf publie «Mrs Daloway», son quatrième roman, il y a déjà plusieurs années qu’elle s’interroge sur  la pratique de son art. Si ses  premières œuvres, «La traversée des apparences» et «Nuit et jour» étaient encore dans la lignée de Jane Austen, qu’elle admirait, son Journal, ses textes critiques et des conférences qu’elle  prononce dès  1919 laissent éclater son désir de renouvellement.

Elle déplore surtout que, dans le roman édouardien traditionnellement célébré, l’auteur semble  contraint à «fournir une intrigue», à  planter un décor  minutieux et des personnages «habillés jusqu’au dernier bouton de leur veste à la mode du jour». «Le roman est cuit  à point», ironise-t-elle dans Le roman moderne (Modern Fiction), mais à le lire, «un sursaut  de rébellion» lui vient : La vie est-elle comme ça ? La réponse  qu’elle propose est un manifeste de toute son œuvre à venir, une rupture sans retour avec la coutume. On a souvent reproché à l’écrivaine son indifférence à l’égard du fracas  de l’histoire. Ses textes de l’entre-deux-guerres en portent pourtant les stigmates. Woolf voit les formes historiques héritées des Lumières œuvrer à des logiques mortifères, se transformer en impasses.

De la collection du père à London Library, l’espace de la bibliothèque est bien sûr le lieu de toutes les convoitises, mais aussi une forteresse à abattre. Le conseil qu’une personne puisse donner à  une autre à propos de la lecture,   c’est de ne demander aucun conseil… Elle aurait aimé être peintre, comme  sa sœur, s’est essayée à la théorie de l’art, a  parfois mêlé textes et  images, et tous ses romans  sont baignés d’un riche chromatisme. «La Promenade au Phare» est notamment rythmée par la lente élaboration d’un tableau. La figure centrale de «Mrs Dalloway» hante la littérature contemporaine : à force de réécritures et d’emprunts, la promenade de Clarissa est devenue un jour sans fin. «Quand j’ai lu Mrs Dalloway, au  lycée, cela équivalait à un premier baiser», déclare Michael Cunningham.

Figure légendaire de la scène underground américaine, la musicienne et poète Patti Smith rend grâce à l’influence de l’écrivaine sur son travail, et à l’esprit des  lieux où elle vécut.Virginia  ne s’est pas précipitée vers la rivière Ouse, elle y  est entrée résolue. Le 9 mars 1941, elle se  suicide en se jetant dans la rivière Ouse. La guerre s’est refermée sur elle. Son long chemin vers la vie posthume va commencer. «Ce que je suis demeure à tout jamais inconnue», écrivait-elle. Ce numéro de la revue Le Magazine Littéraire aura contribué à mieux connaître la grande figure que constitue Virginia Woolf.

Amady Aly DIENG

Publicité
Publicité
Commentaires
KANLENTO-AVULETE "vaillant combattant, nous devons lutter"
Publicité
Publicité